« Les vêtements que nous portons, les téléphones dans nos poches, les écrans dans cette salle sont très certainement produits en partie au prix d’un peuple réduit en esclavage ». Jeudi 1er juin, le sénateur écologiste, Thomas Dossus représentait sa collègue Mélanie Vogel à l’initiative d’une proposition de résolution visant à interdire l’importation en Europe de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure en Chine.
Le texte a été adopté par 144 voix contre zéro. La majorité sénatoriale LR et centristes, à l’exception de trois élus, s’est abstenue. Si une résolution n’a pas de valeur contraignante pour le gouvernement, elle marque l’expression d’un souhait ou d’une préoccupation des parlementaires.
« Crimes contre l’humanité »
« Nous avons reconnu le caractère génocidaire des crimes commis contre la population ouïghoure, nous ne pouvons continuer à leur offrir un débouché commercial », a twitté, à l’issue du scrutin Mélanie Vogel qui n’était pas présente dans l’hémicycle.
« Amnesty International et l’Organisation des Nations unis estiment qu’il existe 1 400 camps de rééducation au Xinjiang et un million de prisonniers […] Dans un rapport des autorités chinoises qui date de 2020, nous apprenons que 2,6 millions de citoyens ouïghours du Xinjiang ont été placés dans des fermes et des usines […] le secteur du textile est le plus concerné […] Adidas, Zara, Nike, Uniqlo et bien d’autres sont concernés […] Ce sont des crimes contre l’humanité », a pointé le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard, dénonçant la politique d’assimilation culturelle violente de Pékin à l’encontre de la minorité musulmane ouïghoure : interdiction de pratique religieuse et culturelle, destruction de lieux de culte, surveillance de masse, stérilisation forcée, incarcération arbitraire…
Inversion de la charge de la preuve
La proposition de résolution rappelle qu’un projet de règlement présenté par la Commission européenne permettrait aux Etats membres d’interdire l’importation de produits issus du travail forcé. Inefficace pour les cosignataires de la résolution car les Etats membres devront « eux-mêmes étayer leurs soupçons qu’un produit est le fruit du travail forcé, avant que l’entreprise visée ait ensuite à démontrer que ce n’est pas le cas. Une période pendant laquelle les biens concernés pourraient continuer à circuler au sein de l’Union ».
Le sénateur RDPI (à majorité présidentielle), André Gattolin a estimé que « l’intérêt majeur de la résolution est de faire porter la charge de la preuve aux entreprises responsables de l’introduction de ces produits sur le marché européen. Il ne s’agit en rien d’une mesure d’exception. Elle est conforme au droit européen et s’applique déjà dans plusieurs domaines », a-t-il assuré.
« Eliminer ce doute sera mécaniquement impossible »
C’est ce point qui a conduit à l’abstention de la majorité sénatoriale. La sénatrice LR, Pascale Gruny a d’abord souscrit à l’objectif d’instaurer un embargo sur les produits issus du travail forcé mais s’est déclarée dubitative sur le système proposé par la résolution. « Il s’inspire du mécanisme mis en œuvre depuis un an par les Etats-Unis qui prévoit que les marchandises en provenance du Xinjiang soient automatiquement réputées enfreindre l’interdiction du travail forcé sauf à ce que l’importateur puisse prouver le contraire de manière claire et convaincante […] Dans le labyrinthe des chaînes d’approvisionnement modernes, éliminer ce doute sera mécaniquement impossible », a-t-elle estimé.
La sénatrice a également insisté sur « la responsabilité exorbitante » que l’inversion de la charge de la preuve ferait peser sur les entreprises. « L’exemple américain nous fournit un précédant instructif puisque nombre d’entreprises ont déjà annoncé qu’elle cesserait de s’approvisionner dans le Xinjiang pour éviter tout risque de sanctions […] Il faut mesurer les effets secondaires que pourrait avoir un tel embargo sur la population du Xinjiang ».
Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, a quant à lui promis que la France et ses partenaires européens continueraient de mener un dialogue exigeant et difficile avec la Chine en l’appelant notamment à ratifier le pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unis.